Comment se confronter à un mythe ? Voilà une question épineuse qui concerne tout développeur qui voudrait lancer un jeu de combat en versus en 1991. En effet depuis le mois de février règne sans partage Street Fighter II, ce dernier étant signé Capcom. Ce titre redéfinit les bases du jeu de combat et s'impose d'emblée comme mètre-étalon, voire devient une cible à abattre.
SNK est le tout premier éditeur à s'y risquer avec son Fatal Fury en novembre de la même année. Le développement du jeu a été confié à Takashi Nishiyama, un des créateurs du premier Street Fighter. SNK ne possède alors qu'une très modeste expérience dans le domaine, avec notamment Street Smart sorti en 1989.

S'il est certain que les deux titres en présence ne sont pas deux pionniers, on peut cependant considérer qu'il s'agit ici des deux jeux de combat qui vont influencer grandement la première moitié des années 90. Premier choc entre Capcom et SNK, premier acte d'un affrontement au long cours.

 

Fatal Fury dispose de décors très colorés qui prennent place dans la ville fictive de Southtown. Malgré quelques maladresses comme une mise en relief peu convaincante et des spectateurs repris d'un stage à l'autre, SNK a su donner corps et vie à cette ville à la fois dangereuse et fascinante. Cerise sur le gâteau, la teinte change au cours des rounds pour montrer que la nuit tombe, c'est très réussi et original ! Concernant les combattants, ils sont assez détaillés et ont des allures qui ne sont pas sans rappeler ce qui peut être rencontré dans les beat them up.
Street Fighter II possède de son côté des décors tout autant colorés, plus nombreux (12 contre 8) et plus variés. On ne reste pas cantonné à une ville ; en effet Capcom propose un sympathique tour du monde qui emmènera le joueur dans un dôjô au Japon, dans un temple où on vénère Ganesh, sans oublier la mythique Las Vegas, terre des parieurs. Enfin, un effet de perspective est appliqué au sol grâce à un scrolling ligne par ligne, ce qui renforce l'impression de profondeur. Quant aux personnages, ces derniers portent des tenues qui évoquent bien plus les arts martiaux que le combat de rue, contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser.
À peu près équivalents au niveau qualitatif, les deux jeux diffèrent de par la variété et la quantité, ces deux critères donnant un avantage à Street Fighter II.

Street Fighter II


Non seulement la nuit tombe, mais en plus le temps tourne à l'orage !
(Fatal Fury)

Ce marché à viande en Chine est très fréquenté.
(Street Fighter II)


Attention au souffle empoisonné de Raiden.
(Fatal Fury)

Ryû contre Sagat, ou l'éternel recommencement.
(Street Fighter II)

 

Fatal Fury profite de personnages de très bonne taille, ces derniers se mouvant avec une vitesse tout à fait convenable. La décomposition des mouvements est correcte et les ralentissements sont des plus rares. Concernant les décors, le meilleur côtoie le pire. On pourra citer l'océan qui fait des rouleaux dans le stage Sound Beach, la pluie à Howard Arena ou encore le métro aérien dans The West Subway. D'un autre côté on pourra trouver bien moins séduisants les badauds survoltés qui répètent frénétiquement des mouvements stéréotypés au possible.
D'une taille un peu moins imposante, les combattants de Street Fighter II bougent bien, avec une meilleure fluidité dans l'ensemble. Les mouvements paraissent plus nombreux et mieux décomposés que dans Fatal Fury. Malheureusement, des ralentissements s'invitent lors des impacts avec les projectiles. Certains effets comme l'électrocution ou la combustion permettent de varier les souffrances et le visuel. Les stages sont bien animés avec les vélos dans celui de Chun-Li ou les éléphants chez Dhalsim mais plus statiques pour les éléments de décor.
Moins bien décomposé et moins varié pour les postures des différents personnages, Fatal Fury perd cette manche malgré sa relative rapidité et sa quasi-absence de ralentissements.

Street Fighter II


Ici le mouvement des vagues est assez bien rendu.
(Fatal Fury)

L'océan du stage de Ken est désespérément fixe.
(Street Fighter II)


Billy Kane est un adversaire particulièrement retors.
(Fatal Fury)

Dhalsim fait griller E. Honda comme une saucisse.
(Street Fighter II)

 

Fatal Fury ne connaît aucun souci particulier au chapitre du son, les mélodies sont très entraînantes et participent beaucoup à l'ambiance de ce jeu. On a même droit à des chants dans le stage de Richard Meyer. De plus, elles ne reprennent pas à zéro pour la manche suivante, alors que c'est le cas pour Street Fighter II. Les digitalisations vocales ainsi que les bruitages sont de bonne facture et se montrent assez variés.
Street Fighter II contient les thèmes qui deviendront mythiques dans le cœur de nombre de joueurs. Cependant, les musiques ont ici dans cette version Capcom Play System une fâcheuse tendance à grésiller et même à casser les oreilles si le son est un peu trop fort. Les impacts de coups sont plus percutants que chez SNK et les voix un peu moins variées, certaines resservant d'un personnage à l'autre.
Malgré la dimension mythique - et donc forcément affective - de Street Fighter II, il faut admettre que Fatal Fury se distingue avec ses mélodies plus claires et ses voix plus variées. Il n'y a qu'au niveau des bruitages que le titre de Capcom prend le dessus avec un côté plus impactant.



Fatal Fury


Les chants du Pao Pao Café sont carrément envoûtants.
(Fatal Fury)

Le thème de Ryû deviendra mythique au fil des épisodes.
(Street Fighter II)


Hwa Jai avale goulûment le breuvage envoyé par un sbire de Geese.
(Fatal Fury)

Certaines digitalisations vocales sont vraiment trop criardes.
(Street Fighter II)

 

Dans Fatal Fury, il y a deux coups de base (poing et pied) et une saisie, c'est tout. Concernant les coups spéciaux, ils sont assez nombreux pour chaque personnage (il y en a 4). En revanche, il faut un doigté très rigoureux pour les sortir. Il y a bien la possibilité de combattre sur deux plans, mais c'est bien difficile à gérer, l'initiative étant réservée au CPU. Cela étant on reste bien au-dessus d'un Street Fighter ou d'un Pit-Fighter.
Le titre de Capcom fait très fort à ce niveau. Il dispose de six coups de base, avec différenciation des niveaux de puissance : rapide, moyen et puissant. Chaque personnage dispose d'une (Chun-Li), de deux (Ken ou Ryû), voire de trois saisies (Honda, Zangief). Enfin les pouvoirs spéciaux - au nombre de 2 ou 3 par combattant - se montrent bien plus faciles à exécuter que chez SNK, sans compter le fait que Street Fighter II permet de procéder à des enchaînements de coups, luxe dont est privé Fatal Fury. Ajoutons à cela une grande précision dans les boîtes de collision et on obtient un jeu à la jouabilité magistralement conçue.
Ici, Street Fighter II est nettement supérieur à un pourtant très correct Fatal Fury, ce dernier n'ayant que ses 4 coups spéciaux par personnage et son changement de plan à opposer à son rival pour argumenter. C'est bien trop court pour espérer l'emporter.

Street Fighter II


Duck King évite avec aisance le Hishô Ken d'Andy.
(Fatal Fury)

Bienvenue au "Meson de la Taberna" où Vega vous fera souffrir.
(Street Fighter II)


Il faut un certain doigté pour exécuter à coup sûr les pouvoirs spéciaux.
(Fatal Fury)

Il vaut mieux ne pas trop s'approcher de Blanka dans ces moments-là.
(Street Fighter II)

 

Fatal Fury dispose d'un panel de 11 combattants... dont seulement 3 sont jouables ! SNK n'a même pas pensé à faire un mode Versus avec la possibilité de jouer Duck King, Tung Fu Rue, Raiden et consorts. Jouer à deux reviendra rapidement à tourner en rond, malgré la possibilité intéressante de combattre ensemble contre la machine. Vaincre le CPU ne sera pas chose très difficile une fois qu'on a saisi comment faire les coups spéciaux, la partie étant en outre ponctuée par trois Bonus Stages où on fait un bras de fer.
Capcom a bien habillé son Street Fighter II avec 12 personnages, dont 8 disponibles dans l'écran de sélection des combattants. Les duels, malgré l'impossibilité de prendre le même personnage, promettent beaucoup, beaucoup d'heures de pur bonheur. Quant au jeu contre la machine, il dispose de trois Bonus Stages bien différents et d'une difficulté plus progressive.
D'accord, la messe est dite, Fatal Fury est vraiment trop léger au chapitre de la durée de vie. Street Fighter II surpasse totalement son rival en proposant un contenu nettement plus généreux.

Street Fighter II


Un roster bien modeste de 3 personnages dans le jeu de SNK.
(Fatal Fury)

8 combattants du côté de chez Capcom, l'écart est énorme.
(Street Fighter II)


Grand moment de tactique et de subtilité.
(Fatal Fury)

La célèbre séquence de destruction de la Lexus.
(Street Fighter II)

 

 
Bilan
 
 



La confrontation entre Street Fighter II et son tout premier prétendant vire à la correction, voire à la déculottée. Le jeu de Capcom ne laisse pas la moindre chance à celui de SNK en le surpassant aisément grâce à deux points cruciaux, la jouabilité et les personnages jouables. Cela, sans compter une réalisation de haut niveau.
Et pourtant, il ne faudrait pas écarter Fatal Fury trop rapidement. En effet tenter sa chance face au monument de Capcom relève en 1991 de la gageure, et SNK est la seule compagnie à s'y risquer. L'excellence de Street Fighter II ne doit pas occulter les qualités intrinsèques de son rival. Fatal Fury garde pour lui son ambiance urbaine et crasseuse de premier ordre ainsi que sa réalisation qui n'a pas à rougir face à son concurrent.
Cette défaite d'apparence sévère pour SNK n'est qu'un prélude à de futurs jeux d'une qualité toujours grandissante. Ces derniers permettront à l'éditeur de se hisser sans souci au niveau de son rival au point de générer une guerre entre partisans de chaque compagnie. Mais cela est une autre histoire.

Tarma






 
     

   




 

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